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Du pennywhistle jive au kwela – swing à la flûte


Image du film “Come back, Africa”, Lionel Rogosin (1959)

Créé dans les années 1940 dans le township d'Alexandra au nord de Johannesburg, le kwela est un étonnant mélange joué principalement au tin-whistle (ou penny-whistle), cette fameuse petite flûte à bec métallique, appelée penny-whistle parce qu'elle ne coûte pas plus d'un penny. D'origine anglo-irlandaise, cet instrument et sa tradition sont notamment entrés en Afrique du Sud avec les groupes de fifres et tambours écossais. Souvent, les joueurs de kwela sont deux ou trois flûtistes, accompagnés d'une guitare fabrication maison, d’une basse à une corde faite d'une caisse de thé et de l'une ou l'autre percussion.

 

La musique swingue à crever (le swing américain y étant pour quelque chose), l'accompagnement est rythmique, simple, sec, syncopé. Le whistle part en de superbes envolées mélodiques, il monte haut dans les aigus, souple au possible.

 

Le style s'est développé surtout dans la rue. En zoulou, kwela veut dire « pick-up » et fait allusion aux camions de la police à la recherche des joueurs clandestins des coins de rue. Dès qu'une de ces camionnettes arrivait en vue, tout signe apparent de jeu illégal disparaissait immédiatement et faisait place à quelque flûtiste (penny-whistler) innocent « jivant » avec ses accompagnateurs jusqu'à ce que le danger soit écarté.

 

Cette musique devint très populaire en 1950, après qu'un film local The magic garden ait montré un jeune éclopé jouant un jive au tin-whistle. Le kwela influencera beaucoup de solistes de jazz, notamment le leader de l'Alexandra All Star Band, Edmund Ntemi Piliso, qu'on peut entendre au saxophone ténor sur le disque Jazz and hot dance in South Africa, 1946-1959.

 

Parmi les grands joueurs de kwela, on retiendra surtout les Solven Whistlers aux harmonies très sophistiquées (sur le CD Drum South African Jazz and Jive), Specks Rampura ou Lemmy Special Mabaso (sur le même disque) qui, à l'âge de douze ans, était déjà célèbre au point d'être invité à Londres où le kwela envahissait même le hit-parade.

 

Le plus grand de tous, surnommé King Kwela, est Spokes Mashiyane. Né dans le nord du Transvaal, il jouait déjà de la flûte en gardant les troupeaux dès son plus jeune âge. Puis vint le jour où il émigra vers Johannesburg pour y travailler comme domestique. Il acquit très vite un tin-whistle et créa un nouveau son en plaçant l'embouchure à la verticale contre la paroi intérieure de sa joue gauche et en inventant un nouveau doigté. C'est en jouant à un coin de rue qu'il fut remarqué par Strike Vilakazi, chercheur de talent. Il commence à enregistrer et certaines de ses compositions vont se vendre à septante mille exemplaires, c'est le cas notamment de « Phata Phata » qu'on peut entendre sur le même CD en deux versions : la première est jouée au whistle et chantée par les Skylarks, groupe de Miriam Makeba dans les années 50 et 60 ; la seconde est jouée par Mashiyane au saxophone alto dans un style extraordinaire également qui est la suite logique du kwela, appelé simplement jive ou sax jive lorsque les joueurs de whistle commencèrent à changer d'instrument et à étoffer leur musique.

 

On peut encore entendre ce grand maître du kwela sur le disque déjà cité Jazz and hot dance in South Africa 1946-1959 dans un superbe « Meadowlands boogie » ou en accompagnement du groupe vocal The Boom Brothers. Mieux encore, un CD entier a été consacré au King Kwela en personne. On y découvre le style dans toute sa splendeur et sa simplicité. L'accompagnement est irrésistible. Et là-dessus, Mashiyane se livre à une démonstration des possibilités du tin-whistle, délivrant une musique envoûtante, chaude, sorte de passerelle acrobatique entre les mélodies traditionnelles et le jazz swingant, une musique unique en son genre où surgit de temps à autre un piano au rythme syncopé à la façon Nina Simone qui nous rappelle qu'on est sur le chemin du jazz…et que le jazz est noir… (Etienne Bours, Africalia)


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