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Exil et renaissance – la musique moderne éthiopienne après le désert du Derg


WOMAD 2005 - Mahmoud Ahmed (Photographer: Damian Rafferty, Flickr)
La vague de créativité et de liberté débutée dans les années 1960 n'aura qu'un temps. Elle sera brisée par la dictature militaire dès 1974, et il faudra attendre de nombreuses années avant qu'elle ne renaisse de ses cendres.

L’empereur Haïlé Selassié avait favorisé un mouvement de créativité, considérant qu’un peuple qui s’amuse ne pense pas à la révolution, et avait fait d’Addis-Abeba la vitrine d’un pays neuf, indépendant, vibrant, qui répondait à sa conception politico-culturelle du non-alignement et à sa place centrale dans l’OUA, l’Organisation de l’unité africaine qu’il crée en 1963. Mais ce rêve n’aura qu’un temps et le régime est renversé en 1974. Le Comité national militaire, le Derg, prend alors le pouvoir et met fin en quelques années à toutes les libertés nouvelles, sombrant rapidement dans une dictature sanglante qui se maintiendra jusqu’en 1991. Durant ces années sombres, la censure sera réimposée et le couvre-feu instauré, privant les musiciens de leurs revenus principaux. Beaucoup d’entre eux choisiront l’exil.


Paradoxalement, c’est au moment où le pays se refermait et sombrait dans la guerre et la famine que l’Occident découvrait sa musique. Un des premiers disques de musique éthiopienne à paraître en Europe sort en 1986 sur le label belge Crammed disc ; il s’agit d’Erè Méla Méla de Mahmoud Ahmed. Enregistré en 1975 pour le label Kaifa Records, l’album, dont le titre signifie approximativement « Je cherche une solution », est sorti du pays grâce au Français Francis Falceto, passionné de musique éthiopienne. Il mettra sur pied à partir de 1998 l’incontournable collection « Éthiopiques » qui rééditera et diffusera l’essentiel de l’éthio-jazz (dont la quasi intégralité du label Amha records). L’inclusion en 2005 de sept titres de Mulatu Astatké sur la bande-son du film Broken Flowers (https://www.pointculture.be/mediatheque/cinema-fiction/broken-flowers-vb0219) achèvera de populariser la musique éthiopienne auprès du public occidental.


Toutefois, la situation entre 1974 et 1991 fut pour les artistes une sombre traversée du désert. On connait le cas de Hailu Mergia, devenu chauffeur de taxi à Washington DC, la ville des États-Unis qui compte le plus grand nombre d’émigrés éthiopiens. C’est là que se réfugie également Ahma Eshèté, Aster Aweké, Girma Bèyènè, Mogès Habté, Mèlakè Gèbrè et bien d’autres. Certains choisissent cependant de rester au pays comme Tilahun Gessesse, ou Getatchew Mekuria, qui officia comme professeur de musique de l'orchestre de la police.


Si la plupart des musiciens en exil interprètent avant tout la tradition de l’éthio-jazz, le cas d’Aster Aweke est différent. Durant son séjour aux États-Unis entre 1981 et 2009, elle va s’inventer un répertoire pop – soul – jazz éthiopien, en langue amharique, et connaitre un certain succès populaire pendant la grande vague « world music » de cette époque. Elle va retourner en Éthiopie en 1997 pour y donner plusieurs concerts avant de s’y réinstaller définitivement en 2009.


Après la chute du régime, l’ancienne génération a enfin l’occasion de profiter du nouvel engouement à l’étranger pour la musique éthiopienne : Mahmoud Ahmed reprend les tournées, Getatchew Mekuria entame en 2004 une collaboration à long terme avec le groupe hollandais The Ex, tandis que le collectif anglais The Heliocentrics collabore avec Mulatu Astatké. De nombreux ensembles occidentaux vont également se lancer dans l’éthio-jazz comme l’Imperial Tiger Orchestra en Suisse, l’Either/Orchestra aux USA, Arat Kilo et Le Tigre des Platanes en France, ou les belges de Black Flower, Kolonel Djafaar, Yokai ou encore Azmari. Plusieurs groupes mixtes voient également le jour comme Kutu, Akale Webe ou le Badume’s band.


Une nouvelle génération reprend par la suite le flambeau. On peut citer Teddy Afro, Gigi, Neway Debebe ou encore Abatte Barihun. L’héritage de l’éthio-jazz peut être parfois pesant pour les musiciens éthiopiens, mais il continue à être révéré et pratiqué, parfois associé à d’autres musiques comme le hip-hop pour Teddy Yo ou Lij Michael, l’électro pour Rophnan, le reggae pour Dub Colossus et Invisible System, ou le rock pour le Jano Band. (BD)


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