Mondorama

Le carnaval est fêté partout au Brésil et n’est pas limité à Rio de Janeiro, même si celui-ci est le plus célèbre. Chaque année, des millions de personnes descendent dans les rues de Salvador de Bahia pour le fêter au son des blocos afro, des afoxé et des trios eléctricos.

Il trouve ses origines au 19e siècle mais à cette époque, c'était plutôt une parade dont les participants appartenaient à la classe moyenne et dont les groupes, des clubs privés, imitaient les carnavals européens. Dès 1895, avec le groupe Embaixa Africana, les Afro-Brésiliens créent leurs propres entités carnavalesques, les afoxés, et paradent également en rue. Ce sont des processions intimement liées au candomblé, mettant en scène la même musique cérémonielle mais dans un contexte profane. Elles permettent le transfert du candomblé dans l'espace public.

La musique est celle des chants et rythmes ijexá. Elle est lente et hypnotique et se joue sur différentes percussions, les chants sont en yoruba. Pendant longtemps, ces afoxés qui montraient assez ostensiblement leurs origines africaines par leurs vêtements, leur danse et leur musique, ont dû se battre contre la répression de la police mais la situation a commencé à évoluer en 1948 avec la fondation des Filhos de Gandhi, un afoxé composé de dockers qui se réclamait de la philosophie pacifiste et anticolonialiste de Gandhi, ce qui a donné une certaine respectabilité au genre aux yeux des autorités.

Le trio eléctrico est une autre institution du carnaval de Salvador. En 1950, deux musiciens, Dodô et Osmar sont apparus dans les rues de la ville, installés sur un vieux camion sur lequel ils jouaient avec une guitare électrique et un cavaquinho électrifié une nouvelle version du frevo, style apparu à Recife dans le Pernambuco. En 1951, ils ajoutent un troisième musicien, un bassiste, et depuis lors, on parle de trio elétrico. Le succès est immédiat, les foules dansent et chantent de manière spontanée. Aujourd'hui encore, ces trios sont répandus lors du carnaval et pour d’autres fêtes et des camions transportant d'immenses sound system sillonnent la ville. Ils ressemblent parfois à des engins spatiaux aux mille lumières et dont la puissance sonore est écrasante.

A partir de la fin des années 1970, les trios eléctricos doivent partager l’espace avec des groupes qui jouent une nouvelle musique, les blocos afro, composés d'Afro-Brésiliens. C’est une période où la conscience noire renaît, à Salvador, mais aussi dans le reste du pays qui est influencé par les musiques noires-américaines des Etats-Unis et les mouvements africains vers l'indépendance. Un des premiers groupes totalement africains, excluant les blancs, est Ilê Aiyê. Ce sont eux qui ont posé les bases des blocos afro en transposant les rythmes afro-brésiliens sur des percussions. Ils composèrent une chanson du même nom, reprise plus tard par Gilberto Gil sur son album Refavela. Le groupe a pris une grande ampleur, comptant plus de deux mille membres au début des années 1990. D'autres formations connues sont Muzenza et Ara Ketu. Leurs chansons dénoncent le racisme, les inégalités sociales et les problèmes du monde afro-brésilien. Le chant est presque toujours responsorial et uniquement accompagné de percussions au rythme lent à modéré mais à la texture riche et puissante.

Dès 1987, le groupe Olodum commence à jouer des samba-reggae, mélangeant les deux styles. Il existe en effet une certaine affinité entre la culture noire jamaïcaine et le mouvement noir de Bahia. La formation acquiert une notoriété internationale en collaborant avec Paul Simon sur Rhythm of the Saints en 1990.

Dans les années 1980, un nouveau style voit le jour à Bahia, l'axé music. C’est un élément important du carnaval mais il est également écouté en dehors de cette période. « Axé » vient du terme yoruba qui signifie « force de vie » ou « énergie positive » mais n'a aucune relation spirituelle avec le candomblé. Cette afropop bahianaise fusionne plusieurs genres, le samba-reggae mais aussi l'ijexá, le frevo, des bribes de merengue, de salsa, de soca ou de carimbo. C'est une époque où les musiques se mélangent, où la créativité est débridée. Les artistes phares sont Chiclete com Banana, Gerônimo, Banda Mel, Banda Reflexu's, Carlinhos Brown ou encore Daniela Mercury. La majorité des chansons parle de romance, de sexe, de carnaval même si parfois des sujets plus sérieux sont abordés. Comme l'axé monopolisait les ondes à Salvador, il a commencé à influencer les stars de la MPB de tout le Brésil. L’artiste le plus original est sans doute Carlinhos Brown qui va au-delà de l'axé, insufflant à ses morceaux du funk, de la bossa nova, des musiques du Nordeste et créant une musique avant-gardiste et éclectique. (ASDS)