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La chanson: trova, boléro, filin, guaracha


María Teresa Vera et Rafael Zequeira

C’est probablement dans la chanson que l’influence européenne sur la musique cubaine se fait le plus sentir. Loin des percussions d’origine africaine, la population blanche de Cuba a longtemps cherché sur le vieux continent des sources d’inspiration, que ce soit à travers la musique classique, le bel canto italien ou la chanson française. On connaît le succès de la contredanse, musique anglaise très en vogue en France au 18e siècle, qui inspirera la création de nombreux styles musicaux, comme la contredanza espagnole.

 

Musicalement, cette évolution s’est prolongée au 19e siècle avec le développement de deux genres musicaux purement cubains, le danzón, musique de danse assez formelle, et un nouveau style de chanson, baptisé boléro. En Espagne existait également un genre du même nom, croisement de la habanera et de la chanson folklorique de la région de Séville, mais ce nouveau boléro est une invention locale.

 

Il trouve son origine dans le répertoire des trovadores, les chanteurs de trova, troubadours itinérants principalement originaires de l’est de Cuba, qui sillonnaient le pays et chantaient en s’accompagnant de la guitare. On crédite généralement le musicien José dit « Pepe » Sánchez (1856-1918) de la double invention de la trova et du boléro. Une grande partie de ses chansons sont aujourd’hui perdues, à l’exception d’une poignée dont le texte et la musique ont été copiés et sauvegardés, comme le boléro « Tristezas » encore interprété de nos jours. Mais c’est avant tout en tant que mentor d’une génération entière de musiciens qu’il sera reconnu. Le plus célèbre d’entre eux, Sindo Garay, (né Antonio Gumersindo Garay Garcia en 1867) poursuivra son œuvre jusqu’à sa mort en 1968. Durant son extraordinairement longue carrière, il a été l’auteur d’un très important répertoire et a été enregistré auprès des plus grands.

 

Le boléro cubain, qui est apparu dans la province d’Oriente, est un genre bien distinct du boléro espagnol. Contrairement à ce dernier, c’est une musique (et une danse) binaire et syncopée, marquée par le clave et l’usage du cinquillo. Après avoir conquis l’ensemble de l’île, le boléro s’est répandu à travers toute l’Amérique latine, et notamment au Mexique. Il a également marqué la musique populaire des États-Unis, qui l’a adopté en le renommant erronément rumba. Parmi les compositeurs cubains qui ont enrichi le répertoire du boléro, outre Sánchez et Garay, on peut citer Maria Cervantes , Miguel Compañoni, Rosendo Ruiz, Manuel Corona et Alberto Villalon, dont les interprètes principaux étaient Vicentico Valdes, Antonio Machín, Olga Guillot et Freddy.

 

La plupart des musiciens de trova sont des solistes mais beaucoup se sont réunis en petits ensembles, très souvent des duos, où les rôles se répartissent en première et seconde voix, comme Los Compadres (ce qui donnera aux deux musiciens Lorenzo Hierrezuelo et Francisco Repilado leurs surnoms de Compay Primo et Compay Segundo) ou des trios comme le Trio Matamoros. Parmi les trovadores du 20e siècle, on peut citer Patricio Ballagas, Eusebio Delfin, Maria Teresa Vera, Guillermo Portabales, Faustino Oramas ou encore Eliades Ochoa.

 

La trova a donné naissance à de nombreuses variations, parfois influencées par les musiques afro-cubaines et créoles. D’autres se sont inspirées des chansons du théâtre satyrique cubain (le bufo), et des comédies musicales légères pour donner naissance à la guaracha. Malgré une mauvaise réputation et des accusations de vulgarité et d’immoralité, les guarachas, chansons humoristiques à double-sens, font toujours partie du répertoire de la trova. Une autre variante encore s’inspirera du jazz et des chansons romantiques des États-Unis pour créer un genre appelé le filin (de l’anglais feeling, soulignant le côté sentimental de la musique), associant boléro, trova, cancion et crooners latins. Un des principaux représentants du genre, Pablo Milanes, sera plus tard aux origines de la nueva trova. Parmi les autres grands noms du filin, il faut citer Elena Burke, Omara Portuondo, José Antonio Méndez, Angel Diaz ou César Portillo de la Luz.

 

La trova a également donné naissance à une institution extrêmement importante pour la musique cubaine: les casas de la trova, petits clubs et salles de concerts que l’on trouve dans la plupart des villes de l’île, où l’on peut assister à des représentations de styles variés et qui servent souvent de tremplin aux musiciens et chanteurs débutants. (BD)


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