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Le Calypso - improviser à mots couverts


calypsos en tous genres
Comme les steel bands, le calypso puise ses origines dans les traditions africaines qui ont accompagné pendant deux siècles les canboulays, les carnavals de la population noire. Il poursuit à la fois les pratiques de critique sociale, de renversement des valeurs et des rapports d’autorité des carnavals européens, et les coutumes africaines de danses de combat (représentées à Trinité-et-Tobago par le kalinda et les bois-batailles) et de joutes verbales.

A l’origine, les chantwells, les chanteurs, se limitaient à annoncer les combats, et à maintenir l’enthousiasme des spectateurs, mais progressivement ils développèrent des textes de plus en plus longs et complexes, profitant des moments de liberté accordés par l’ambiance du carnaval, ainsi que de l’usage du patois qui dissimulait le sens du texte aux non-initiés, pour entamer des critiques sociales et politiques, des caricatures féroces des maîtres blancs, ou encore des histoires scabreuses masquées par des couches successives de double-sens.


Petit à petit, cette tradition de chansons a pris son autonomie des joutes de bois-batailles et est devenue une activité parallèle, développant sa propre forme de duel verbal, déjà présente dans le picong, opposant deux chanteurs dans des improvisations oratoires pimentées d’insultes sophistiquées et d’attaques personnelles impitoyables (qualifiées de « sans humanités » en créole). Cette pratique explique les noms souvent martiaux et guerriers des chanteurs de calypso, et leurs titres de noblesse : Tiger, Mighty Panther, Roaring Lion, Lord Invader, Executor, Mighty Destroyer, Lord Kitchener, Mighty  Sparrow, Attila the Hun, etc.


Lorsque l’administration coloniale décida d’interdire les bois-batailles et l’usage des tambours, suite aux révoltes du canboulay de 1881, les chanteurs de calypso ont trouvé une nouvelle fonction et un nouveau théâtre d‘action dans les calypso-tents. Au départ ces « tentes » de toutes sortes, depuis le bois et la toile jusqu’au local en dur (salle de cinéma ou tavernes), étaient avant tout un espace de répétition en préparation du carnaval, mais elles sont devenues de véritables lieux de spectacle où les chanteurs venaient tester leurs textes en public, et rentraient en compétition pour la distinction suprême : produire la chanson du carnaval de l’année.


La musique accompagnant le calypso a elle aussi suivi de nombreuses mutations, passant des percussions à la guitare ou à de petites formations de cordes. Le premier disque de calypso a ainsi été enregistré en 1912 par le Lovey's String Band, un ensemble de douze musiciens comportant des cordes, comme son nom l’indique, mais aussi une clarinette, une flûte et un piano. La violence et la mauvaise réputation des calypsoniens a progressivement disparu même si leur tradition de textes comportant un sens caché, grivois ou politique, critique sociale ou attaque personnelle, est restée fortement ancrée dans le genre à travers toutes ses métamorphoses.


La plus grande de ces transformations a été l’adoption du calypso après la Deuxième Guerre mondiale par des musiciens non-trinidadiens. Affadie pour s’inscrire dans un contexte musical bourgeois et américain, dans la mouvance de l’easy-listening, le calypso a connu des moments très réussis auprès d’artistes comme Harry Belafonte, ou des développements plus bizarres comme chez Robert Mitchum ou les Andrew Sisters. Ces dernières ont popularisé le genre grâce à une chanson volée à Lord Invader, « Rum and Coca-Cola », transformant sa critique de l’influence néfaste des Etats-Unis sur les Caraïbes (poussant les femmes à la prostitution pour gagner quelques « yankee dollars ») en une bluette légère et exotique.


Mais les calypsoniens originaux ont poursuivi eux-aussi une carrière à succès, sur place à Trinité-et-Tobago, mais aussi en tournée, particulièrement auprès de la diaspora caribéenne de Grande-Bretagne ou des USA. Mighty Sparrow, Roaring Lion ou encore Lord Kitchener connaitront une reconnaissance internationale. Il faudra attendre encore quelques années pour que le genre, très masculin, voire même misogyne (notamment dans ses textes), ne s’ouvre aux femmes et n’accepte dans ses rangs les premières chanteuses de calypso comme Calypso Rose, Singing Francinne, Denise Belfon ou encore les United Sisters.  (Benoit Deuxant)


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