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La rumba catalane - au-delà des Gipsy Kings


Peret à Raval, une photo de Josep Tomàs (en creative commons, via flickr)
Considérée comme une cousine distante du flamenco, la rumba catalane, un genre très hybride, a souvent été balayée dans les descriptions de la musique traditionnelle espagnole. C’est un style qui a connu des hauts et des bas mais qui, bien qu’ancré à Barcelone où vit une importante population gitane, a influencé les musiques populaires de tout le pays.

Les tsiganes sont arrivés en Espagne à partir de 1425 et s’y sont installés, subissant alternativement des périodes de coexistence pacifique avec la population locale et des moments de persécution par les autorités. A la fin du 19e siècle, les gitans du sud de l’Espagne ont posé les bases du flamenco mais la musique tsigane a évolué différemment d’autres régions, tout particulièrement en Catalogne où vivait également un groupe important de gitans. Ils s’étaient installés au 17e siècle dans le Barrio del Portal (dans la calle de la Cera notamment) et dans le quartier de Gracia. C’est là que naît dans les années 1950 la rumba catalane qui n’est pas encore désignée comme « catalane » à l’époque, la diffusion de la culture régionale étant strictement interdite par la dictature de Franco. Cette rumba n’est pas à confondre avec les styles afro-cubain et congolais, ni avec la rumba hollywoodienne inventée par Xavier Cugat (qui ressemble plus à du son et de la conga), ni avec la forme du flamenco qui porte le même nom. Il y a cependant une même base dans tous ces styles et elle trouve ses origines à Cuba. L’utilisation du terme « rumba » avait un côté pratique : il référait à une musique dansante et populaire.


Ce sont essentiellement les disques de Cugat, mais aussi le mambo de Perez Prado qui inspirent les musiciens gitans de Barcelone. Ils adaptent la musique cubaine jouée par les grands orchestres à un seul instrument, la guitare, et l’accompagnent aux bongos, güiros et palmas. Ils la mélangent également à des chansons andalouses-catalanes et l’infusent d’une bonne dose de rock’n’roll qui émerge à la même époque. Pour reproduire les rythmes cubains, les artistes inventent un jeu de guitare particulier, incluant une notion de percussion : l’artiste gratte les cordes mais frappe aussi de la main la caisse de résonnance, créant un rythme. Cette manière de jouer est nommée el ventilador et a commencé à être popularisé par une famille d’artistes (et marchands de poissons), les González. Le père, Antonio, surnommé El Pescaílla, et ses fils, ont fait carrière et sorti divers disques dans les années 1950 et 1960, notamment avec la chanteuse populaire Lola Flores qui était l’épouse d’Antonio.


C’est avec Peret que le style gagne en popularité durant les années 1960 et 70. De son vrai nom Pedro Pubill Calaf, ce chanteur et guitariste est devenu l’interprète le plus célèbre du genre. Il a mélangé les sons locaux avec les rythmes des Caraïbes et possédait une attitude rock’n’roll. Il est suivi par une génération entière d’artistes qui occupent le devant de la scène. El Noi, El Chacho, Moncho et El Gitano Portugués animent les fêtes locales mais sortent également de nombreux disques, mettant la Catalogne sur la scène musicale espagnole. Parallèlement, le style se développe en France grâce au guitariste Ricardo Baliardo, alias Manitas de Plata, et son cousin José Reyes, qui forme Los Reyes, un groupe qui deviendra plus tard les Gipsy Kings.


Durant la période franquiste, les gitans avaient été les victimes du régime dictatorial qui n’avait cessé de véhiculer les stéréotypes liés à leurs origines, tout en exploitant leur folklore pour la promotion du tourisme, mais à la fin de la dictature, la gauche qui arrive au pouvoir dénigre également la rumba catalane, la considérant comme un genre nationaliste. Le style s’essouffle, s’édulcore, tandis que de nombreux gitans se tournent vers l’église évangélique. Même Peret abandonne sa guitare et devient pasteur. Les jeunes s’en éloignent, le considérant comme un style ringard, même si quelques artistes comme Chango, Sisquetó ou Los Amaya produisent des morceaux intéressants, voire expérimentaux dans le cas de Los Amaya.


A la fin des années 1970 et au début des années 1980, un musicien va changer la donne. L’Argentin Gato Pérez est séduit par les sons relativement bruts qu’il entend dans les rues de Barcelone et décide de redonner un peu de dignité au style à l’aide de musiciens locaux. C’est lui qui le premier parle de « rumba catalane » et non uniquement de « rumba ». Ses compositions tendent vers la salsa, le rock, le jazz ou la country et les textes sont mordants – il parle de « sexo, drogas, rumba and roll ». Il remet ainsi le style dans la bonne voie et est nommé « El Renovador ».


Divers groupes prennent le relais, comme les gitans madrilènes de Los Chunguitos et Los Chichos. Ils jouent une rumba revendicative et populaire, représentant les habitants des quartiers défavorisés, cassant les vieux clichés et remettant en cause certaines traditions, en totale opposition à la rumba franquiste édulcorée. Le duo Azucar Moreno, formé par les sœurs Encarna et Toñi, s’engage dans la lutte pour les droits et l’émancipation des femmes gitanes. Malgré ce mouvement positif de défense des gitans, la gauche intellectuelle espagnole du début des années 1980, rassemblée dans le mouvement de la Movida, continue à rejeter en bloc le style.


Dans les années 1990, la rumba catalane connaît un regain de popularité auprès d’un plus large public. Los Manolos, de Barcelone, chantent en direct lors de la clôture des Jeux Olympiques de 1992 et Peret remonte sur scène, abandonnant son poste de pasteur, tandis que les Gipsy Kings, basés à Montpellier, connaissent un succès international avec des morceaux comme « Bamboleo » et « Djobi djoba », mêlant influences pop et flamenco à la rumba. Ils préfèrent d’ailleurs nommer leurs compositions « rumba flamenca ». Le style connaîtra encore de nouvelles évolutions par la suite tandis que les morceaux importants des années 1970 sont réédités sur une compilation du label britannique Soul Jazz, ainsi que sur des labels barcelonais, montrant le regain d’intérêt que suscite cette musique au 21e siècle. (ASDS)


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