Le chant flamenco – duende et palmas
Chanson , Chanson traditionnelle , Chant , Rom , Espagne , Flamenco , Andalousie , Cante jondo
03 juillet 2025

Pour les puristes, le chant flamenco est la plus pure expression de la musique gitane. Il s’interprétait à l’origine a palo seco, c’est dire sans accompagnement à l’exception des palmas, les battements de main. C’est ainsi qu’il était joué autrefois, et aujourd’hui encore lors des fêtes gitanes, sans qu’aucun instrument ne soit nécessaire pour soutenir l’intensité du chant et de la danse. Le chant y était libre et la structure métrique était rendue flottante par l’ajout des lalies, des syllabes sans signification (¡ay!, ¡a!, ¡a-i!, etc.) introduites dans le texte à des fins rythmiques ou expressives.
On distingue souvent les différents éléments du flamenco comme des choses séparées : le chant d’un côté, la guitare d’un autre et la danse d’un autre encore. Chaque élément a en effet son histoire et son évolution propre, qui le rapproche ou l’éloigne du flamenco des origines. La voix est pour beaucoup le point central du genre, et le seul vraiment indispensable. C’est dans le chant que se trouvent les caractéristiques les plus typiques du style gitan, celles qui en font une exception dans le paysage musical européen, un « art oriental perdu dans la musique occidentale ». Il possède des particularités quasi uniques qu’on ne retrouve en Europe que dans la musique andalouse comme le mélisme, le vibrato, la « déchirure » de la voix et la nasalisation. Les rythmes (compas) et les modes sont également plus proche de l’Orient, ou de la Grèce antique, que des traditions occidentales.
Les différents styles de flamenco, les palos, peuvent se classifier de plusieurs façons, comme par exemple en séparant les « chants de base » des autres, selon la hiérarchie établie par Antonio Mairena dans les années 1960. De même, on distingue les formes « sérieuses » du cante jondo (le chant profond) de celles du cante chico, plus léger, et des styles intermédiaires. Une autre manière est de les classer selon leur degré d’occidentalisation en partant des chants les plus anciens jusqu’à leur adaptation aux mesures et à l’instrumentation européenne (ou afro-américaine). Selon cette répartition, on part des chants libres, sans accompagnement, comme les siguiriyas, les tonas, les saetas pour arriver à ceux accompagnés à l’orientale, comme les cabales, les bulerias, les alegrias, puis les fandangos grande joués ad libitum, pour arriver aux styles rythmés à l’occidentale, comme les différents fandangos régionaux espagnols et les genres hispano-américains comme le tango ou la rumba. Il existe d’innombrables variantes (estilos) de ces palos, et beaucoup sont souvent désigné par leur région d’origine : malagueñas (de Malaga), murciana (de Murcie), sevillana (de Séville), etc.
Tous ces genres sont également gradués selon leur dosage de duende, un terme, difficile à traduire, qui qualifie l’émotion qui s’empare de l’interprète et de son public aux moments les plus forts, les plus déchirants, de la performance. Si certaines chansons (généralement le cante chico) sont juste de belles chansons, le chant profond est autre chose, un déversement d’expressivité qui se joue des limites techniques et esthétiques, et où les voix afillá, écorchées, brisées et rauques sont plus valorisées que les voix plus policées et civilisées du bel canto. Elles définissent un goût gitan, viscéral et sombre.
Outre les artistes cités au chapitre précédent, Manolo Caracol, la Niña De Los Peines, Francisco Ortega El Fillo, Manuel Torre, etc. il faut ajouter à la liste les chanteurs et chanteuses Fernanda et Bernarda de Utrera, Enrique Morente, El Cabrero, Juan Peña El Lebrijano, les Sorderos, Fosforito, Jose Menese, Duquende, Manuel Agujetas, El Potito, Carmen Linares, Remedios Amaya, ou encore Carmen Amaya. La présence des femmes dans le chant flamenco, sur scène comme sur disque, a longtemps été moindre que celle de leurs homologues masculins. Ceci s’explique par la séparation stricte des rôles autrefois établie dans le style et par les obstacles imposés par la société espagnole à l’expression des femmes dans la vie publique. (BD)