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Les chants de protestation des années 1960-70 : nova canço catalane et revival régional basque


Une photo de groupe d’Ez Dok Aimaru, le collectif basque en 1970 (argia.eus, Oskarbi, Joxe Mari Zabala, via wikicommons)
Comme dans beaucoup de pays du monde, l’Espagne connaît un mouvement de chansons de protestation dans les années 1960 et 1970. Elles dénoncent la dictature et remettent en avant les langues régionales, du basque au catalan.

Durant les années 1960 et 1970, alors que la dictature de Franco limite toujours la liberté d’expression, un mouvement de chansons de protestation voit le jour, empruntant à un courant international développé par des Américains comme Pete Seeger, Woody Guthrie ou Joan Baez, qui ont eux-mêmes influencé le style latino-américain de la nueva cancion en Argentine (Mercedes Sosa, Atahualpa Yupanqui), au Chili (Violeta Parra, Victor Jara), à Cuba, en Uruguay… Parmi ces artistes, certains comme Pete Seeger s’étaient penchés sur le répertoire plus ancien des chansons de la guerre civile espagnole, dont l’origine est souvent inconnue et qui ont été interprétées par les sympathisants et combattants. Il les a enregistrées en 1943 pour le label Stinson de Moe Asch, qui les a rééditées en 1960 sur Folkways. Quilapayun et Victor Jara font également référence à cette guerre dans leur répertoire.


En Espagne, le mouvement de protestation émerge à partir des années 1960 et est dirigé contre la dictature. Les contestataires désirent retrouver une identité culturelle et linguistique, rendant une place aux diverses particularités régionales espagnoles. C’est au Pays Basque, en Galice et en Catalogne que le mouvement est le plus actif, ces trois régions ayant été touchées par l’interdiction des langues locales. La Nova Canço naît au début des années 1960 pour mettre en avant le catalan, suivi de près par des mouvements similaires dans les autres provinces.


Les artistes du Pays Basque espagnol s’inspirent du travail de Mixel Labéguerie (1921-1980) qui, sur le territoire basquais français, est un des précurseurs, enregistrant dès 1961 des chansons en langue locale. Il aura une énorme influence par la suite et est toujours considéré comme le premier chanteur basque moderne. En 1966, Mikel Laboa crée le groupe Ez Dok Aimaru (« Il n’y pas treize », ce qui signifie « Il n’y a pas de malédiction ») avec entre autres Benito Lertxundi, Xabier Lete et Lourdes Iriondo, rejoints par des peintres et acteurs. La chanson la plus connue de Laboa est « Txoria, txori » dans laquelle un oiseau symbolise la résistance à l’oppression des Basques. Le duo Errobi, Niko Etxart et le groupe Itoiz font aussi partie de cette première mouvance et seront à la base du Rock Radikal Vasco qui fera son apparition dans les années 1970.


En Galice, le groupe Voces Ceibes, formé en 1967, est à l’initiative du Movemento Popular da Cancion Galega. La protestation s’étend également aux régions où le castillan est parlé. A Madrid, Paco Ibañez, influencé par les auteurs-interprètes français, commence à enregistrer des disques aux paroles engagées dès 1964 tandis que Luis Eduardo Aute devient la figure la plus importante du mouvement Nueva Cancion Castellana. D’autres régions connaissent également des courants similaires, de l’Extrémadure aux Canaries.


La Nova Canço catalane est sans doute le mouvement le plus connu et a dominé la scène artistique entre 1959 et 1975, avec trois figures phare : Raimon, Lluís Llach et Joan Manuel Serrat. A la fin des années 1950, un petit groupe d’auteurs-interprètes, surtout des hommes mais aussi quelques femmes, s’inspirent de la tradition française des poètes chanteurs comme Léo Ferré, Jacques Brel et Charles Aznavour, mais aussi Georges Brassens qui inspire un premier album : Josep Maria Espinas interprète cinq morceaux de l’artiste traduits en catalan (Espinas canta Brassens, 1962). Parallèlement de jeunes chanteurs et chanteuses se rassemblent et donnent des concerts dans des lieux discrets. Leurs textes en catalan critiquent la société de l’époque et la dictature. Ils se nomment Els Setze Jutges, les seize juges ; parmi eux se trouvaient Francesc Pi de la Serra, Joan Manuel Serrat, Maria del Mar Bonet et Luís Llach.


Ceux-ci invitent Raimon, singer songwriter de Valence, à donner un concert à Barcelone ; son énergie et son enthousiasme séduisent le public. Il a marqué les esprits avec sa chanson « Diguem no » de 1963. Joan Manuel Serrat est surtout connu pour ses ballades sentimentales et nostalgiques en catalan, et devient un artiste populaire dans le mouvement de la Nova Canço, jusqu’à ce qu’il enregistre des disques en espagnol, poussé par les grandes compagnies de disques qui voulaient tabler sur son succès. Mais lorsque la télévision espagnole lui a demandé en 1968 de représenter l’Espagne pour l’Eurovision, et qu’il a annoncé qu’il chanterait en catalan, il a été remplacé par un autre candidat.


Lluís Llach est célèbre pour sa chanson « L’estaca », qui est devenu l’hymne de la lutte contre la dictature, et qui a été reprise dans le monde entier, devenant notamment la chanson phare du mouvement Solidarnosc en Pologne ainsi qu’un morceau souvent entonné lors du Printemps Arabe tunisien en 2011. Llach était le chanteur le plus engagé dans le mouvement de révolte contre le régime et il a dû s’exiler un temps à Paris.


Dans les années 1970, la Nova Canço est présente lors de grands festivals en plein air, notamment dans la région de Barcelone. A la mort de Franco, le mouvement s’est affaibli, ayant perdu sa raison d’être principale. De nombreux artistes ont cependant continué leur travail de mise en valeur des langues et traditions régionales ; ces scènes sont toujours très actives aujourd’hui. (ASDS)


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