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L’enka – noyer sa tristesse dans le saké


Bar d’Osaka avec karaoké, une photo d’Anne-Sophie De Sutter
A partir des années 1950, le ryukoka se divise en deux courants, un premier très pop, très occidentalisé et qui séduit les jeunes, et un second, l’enka, qui reste plus traditionnel et conservateur, décrivant les méandres de l’âme humaine, la nostalgie et la tristesse.

Partout dans le monde, il existe des musiques et des chansons qui touchent une corde sensible, du blues américain à la morna capverdienne, du tango finlandais au tezzeta éthiopien. Femmes et hommes se sont toujours délectés d’une certaine tristesse, d’un sentiment doux-amer ; le plaisir musical est accompagné d’une certaine souffrance. Au Japon aussi, la perte, le manque, la nostalgie du passé, les cœurs brisés et les amours illicites sont les thèmes récurrents d’un type de chanson populaire japonaise, l’enka.


Le terme apparaît à la fin du 19e siècle, parallèlement à la rapide occidentalisation du pays, et désignait des chansons politiques (soshi enka). Il prend une nouvelle forme à partir des années 1920, notamment avec la chanson « Sendo kouta » de Shimpei Nakayama mais il faudra attendre les années 1960 pour qu’il désigne un style bien défini, en opposition à la poppusu, la musique pop des jeunes.


Si dans le passé, c’étaient les geishas qui interprétaient les chansons langoureuses accompagnées de shamisen, après la Seconde Guerre mondiale, elles sont remplacées par des hôtesses de bar, parfois des anciennes geishas d’ailleurs, qui nourrissent la mélancolie de leurs clients, souvent des salaryman peu pressés de rentrer chez eux. L’enka devient un antidote aux goûts américanisés et occidentalisés des jeunes ; c’est la « chanson du Japon », exprimant l’âme du pays, un sentiment accentué par la nostalgie et la mélancolie des morceaux. Les textes traduisent les valeurs traditionnelles de la fidélité et du sacrifice.


Le style est caractérisé par les gammes pentatoniques et des techniques vocales venues de la tradition. Le yuri et le kobushi, deux types de vibrato plus ou moins ornementés, soulignent le ton larmoyant et les chansons comportent des passages parlés, parfois teintés d’érotisme soft, le tout sur un fond musical inspiré du minyo, des musiques latines ou du blues, joué en général par des orchestres à l’occidentale, des guitares, des synthétiseurs ou d’autres instruments électroniques mais aussi, selon les cas, par du shamisen ou du shakuhachi.


La star incontestée du genre est Misora Hibari qui a commencé sa carrière à douze ans à la fin des années 1940. Elle était particulièrement à l'aise dans les morceaux tristes mais tout aussi efficace dans des chansons plus pop. Datant de 1952, « Ringo Oiwake » (« Le Pommier à la croisée des chemins ») est un de ses morceaux les plus célèbres, aux caractéristiques typiques de l'enka. Misora allonge certaines voyelles et utilise mélismes et falsetto. « Kanashii Saké » est également un succès, durant lequel elle se mettait toujours à pleurer.


Harumi Miyako, Sayuri Ishikawa, Shinichi Mori, Saburo Kitajima, Ayako Fuji sont des artistes connus, parmi beaucoup d’autres. Les femmes sont généralement habillées en kimono tandis que les hommes sont en costume ou smoking. Malgré leur succès, les chanteuses ne composent pas leurs morceaux, activité réservée aux hommes, comme par exemple Masao Koga qui a écrit de nombreuses chansons.  


Très populaire des années 1950 à 80, le style a survécu jusqu’à aujourd’hui. Même s’il est parfois considéré comme ringard, il provoque aussi une certaine nostalgie auprès des jeunes générations qui s’intéressent à l’ère Showa (1926-89) et certains artistes comme Kiyoshi Hikawa sont devenus des stars. Il est toujours interprété sous forme de karaoké par des salarymen qui ont terminé leur journée de travail ou de vieux habitués en quête d’un peu de divertissement, dans des bars qui ont vu des jours meilleurs. (ASDS)

Playlist - Le Japon à l'ère Showa: ryukoka et enka


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